De la déconnexion aux Jeux olympiques

C’est un peu un rêve de gamine. Devenu au fil du temps un espoir de quinqua. J’ai été sélectionnée pour le marathon des Jeux olympiques ! Le verbe « sélectionner » est bien sûr abusif, j’ai simplement eu la chance d’être tirée au sort, comme 20 024 autres participants. Mais je savoure cette bonne fortune tombée du ciel.

Qui l’eût cru ? Certainement pas moi. Je viens d’un no man’s land sportif, un long tunnel de cinquante années de sédentarité, en ayant pour seul exploit à mon actif une heure de course, parce que je n’avais pas le choix, en classe de troisième. Et puis, il y a cinq ou six ans, lassée par mon hyperconnexion et tout le stress numérique engendré par mon métier — j’avais notamment créé trois sites, autour des usages numériques, que j’alimentais et promouvais au quotidien —, j’ai envoyé balader smartphone et réseaux sociaux au sens propre : je suis partie marcher. J’ai déconnecté. Depuis, je me suis incarnée, la marche s’est accélérée, j’ai commencé à courir, de plus en plus régulièrement, sans renoncer à la randonnée, et j’ai pris goût au parfum de sueur du dossard. Sur les petits chemins autour de chez moi, sur les falaises, en forêt, sur le bitume, en ville, partout où je peux, je cours. Lentement, très lentement, trop lentement pour les puristes, mais sûrement. Je me réveille endurante, capable de partir à l’aventure pour un maratrail off autour de chez moi, pour arpenter les sentiers de montagne en mode trail, ou pour redécouvrir Paris à travers différentes épreuves (marathon en 2022, semi-marathon, 10 km, écotrail, you name it).

Quand le marathon pour tous a fait son apparition dans les médias, j’ai prêté une oreille très distraite au projet. Mon inconscient, mon passé, rien ne plaidait pour mon inclusion dans ce « pour tous ». En revanche, j’ai été séduite par le procédé imaginé pour avoir une chance de participer : une appli spécifique qui proposait de relever des défis, pouvant se transformer en dossard. Le numérique pour lutter contre la sédentarité. C’est ainsi que j’ai d’abord perçu le projet. La connexion au service du corps. Et non l’inverse. De quoi m’aérer l’esprit, moi qui conservais un rapport distancié avec mon smartphone. J’ai essayé de réaliser un maximum de défis. Le côté ludique était très motivant. Entre « Tente le record olympique ! » (cumuler 2h et 6 minutes en 2 semaines de course à pied, challenge réussi) et « On travaille son cardio ! » (réaliser 5 km en moins de 25 minutes, challenge pas réussi), mon année 2023 a été rythmée par ces petites alertes, libre à moi d’y donner suite ou pas. Mais quelle satisfaction de courir après quelque chose au sens propre, de figurer parmi des dizaines de milliers de finishers, de voir les kilomètres défiler sans (trop) y penser, d’accumuler du dénivelé en vue d’un éventuel dossard. Puis vint janvier 2024, et avec lui la fin des challenges pour avoir une chance de gagner un dossard. Après 42 défis réussis — autant que de kilomètres d’un marathon, il n’y a pas de hasard — je m’apprêtais, à regret je l’avoue, à supprimer l’appli lorsque le mail salvateur est arrivé : Laurence, tu l’as fait. Écrit en lettres capitales. Cet en-tête était incroyable. Je ne l’ai pas vraiment cru. Je n’ai pas compris tout de suite que j’avais eu la chance d’être tirée au sort, et que oui, moi la quinqua qui court lentement, j’allais pouvoir participer à cet événement historique. Il a fallu que je relise plusieurs fois cette délicieuse petite phrase : « Félicitations Laurence, tu gagnes ton dossard pour l’épreuve du 42,195km du Marathon Pour Tous Paris 2024. »

J’ai d’abord réfléchi : est-ce que je voulais vraiment me relancer sur un marathon, sur du bitume ? 42,195 kilomètres, c’est long. Très long. J’ai toujours préféré courir sur les petits chemins forestiers ou mieux encore, en montagne. Pourtant, j’avais adoré préparer le marathon de Paris en 2022 parce que j’étais entourée de copines formidables, et que c’était un projet partagé. Mais l’expérience du bitume sur 42,195 km, si elle est satisfaisante à l’arrivée, a laissé des traces. Sur mes tendons d’abord, qui ont souffert, ensuite sur mon mental, que je n’ai pas toujours trouvé à la hauteur. Alors dans l’absolu, recommencer sur route, non, mais dans ces conditions historiques : oui ! Côtoyer les Jeux, bien sûr que ça ne se refuse pas. Humer le parfum olympique me semble tellement improbable étant donné ma trajectoire… Le parcours nous emmènera de l’Hôtel de Ville jusqu’à Versailles, et retour aux Invalides, avec un départ à 21 heures, ce même parcours qu’auront emprunté le matin les « vrais » athlètes olympiques masculins (tandis que les femmes partiront le lendemain matin, pour la clôture des Jeux). Je vais pouvoir fouler le sol que la légende Kipchogé aura foulé le matin même.

Quand j’ai déconnecté il y a quelques années, je n’aurais jamais imaginé que ma vie changerait à ce point-là. J’ai pris conscience que je n’avais pas seulement une tête mais aussi un corps, et qu’il serait peut-être temps de m’y intéresser et de ne pas le laisser assis toute la journée face à un écran. En me coupant des réseaux, j’ai eu envie d’aller voir ailleurs. Pas nécessairement très loin. Mais quand même de plus en plus loin. Juste en chaussant mes baskets. Puis en accrochant des dossards, histoire de pimenter les sorties. De trail en aiguilles, j’ai musclé mon horizon, je lui ai donné de la verticalité sur les sentiers de montagne, j’ai découvert un sport à portée de lacets, abordable sans expérience préalable, où j’ai progressé au fil des années alors qu’à cinquante ans passés, rien n’était gagné. C’est un peu comme si j’avais posé le pied sur un nouveau continent, nouveau continent où je peux me réinventer, faire défiler les kilomètres plutôt que les années, me réconcilier avec mon âge. Alors définitivement, oui, ce marathon pour tous sera aussi pour moi.

Le paradoxe de la déconnexion

Après cette étrange année, faite de télétravail, de distanciel, de visios, de mails et d’écrans à n’en plus finir, il était temps de déconnecter. Mais déconnecter de quoi au final ? Parce que je ne sais pas vous, mais moi, je me sers beaucoup de mon smartphone en vacances… et pourtant je n’ai vraiment pas la tête dans les pixels. Paradoxe ?

Un (tout petit peu) peu plus près des étoiles

La tête tournée vers les sommets, assise face au mont Blanc — non loin de là où l’écrivain John Ruskin avait ses habitudes (une « pierre à Ruskin » commémore son passage et ses habitudes contemplatives à Chamonix) —, je glisse un peu de verticalité dans mes idées, pour mieux les agiter.

Idées fraîches avec vue sur les glaciers des Bossons et de Taconnaz sur le sentier de la « pierre à Ruskin ».

Car figurez-vous qu’alors que je suis en vacances, je me surprends à me servir beaucoup de mon smartphone. Je me pose donc la question : la déconnexion des esprits doit-elle obligatoirement s’accompagner d’une déconnexion totale du numérique ? En d’autres termes, faut-il complètement couper les ponts, et le Wi-Fi, avec son smartphone, pour renouer avec la tranquillité ?

On n’est pas bien là ?

Bien sûr que non. Une vie sans Internet est devenue totalement utopique. Elle est possible. Aussi possible et facile que vivre dans une grotte. Nos comportements excessifs avec les univers connectés sont problématiques, mais Internet en soi est une invention formidable.

Balmat montrant à Saussure une borne wi-fi

Je n’ai donc pas du tout remisé mon smartphone dans un tiroir, c’est peut-être même l’inverse. J’ai téléchargé l’appli Chamonix qui me fournit ma dose de météo, activités, transports ; couplée à Maps et mes applis de rando, elle me sert à organiser mes journées de piétonne au pays des grimpeurs. Je dégaine l’appareil photo, évidemment. Je dégaine aussi le pass sanitaire le cas échant (très loin de toute polémique). Et savoir que s’il se passe quoi que ce soit pendant une randonnée en montagne, je peux joindre de suite quelqu’un (à condition d’avoir du réseau, ce qui est le cas même à 3 800 mètres…) est sacrément sécurisant. Et parce que j’ai cette forme de sécurité pratique dans mon sac à dos, je me sens parfaitement déconnectée : je suis loin des urgences professionnelles, mais au plus près de mon lieu de vacances.

En toute zénitude

Parce que pour le reste, j’ai tout coupé : les alertes habituelles des applis de médias auxquels je suis abonnée, et les notifications d’où qu’elles viennent. J’ai dans la foulée également coupé le son et le vibreur. Je ne consulte mes mails qu’épisodiquement. Mes comptes sur les réseaux sont en sommeil. Et j’ai définitivement la tête hors des pixels.

Connectée, mais au paysage.

Il suffit parfois de prendre un peu de hauteur pour y voir plus clair. Les vacances sont une période propice à une réorganisation en douceur du temps. Ou plutôt des temps : priorité au temps familial, social, au temps de loisir, et cette priorité doit trouver un écho sur le smartphone. Notre téléphone doit s’adapter à nous, et non l’inverse. Pendant la période estivale, notre rapport au numérique peut n’être concentré que sur l’aspect pratique : ne prendre que ce qui nous facilite la vie, et ne surtout pas prendre la tête. Nous avons la chance d’avoir dans la poche un guide de voyage, un organisateur, un appareil photo, un traducteur, n’hésitons pas à nous y connecter… pour mieux déconnecter du reste.

La déconnexion des esprits passe par une petite dose de Wi-Fi… La solution est peut-être là : pour déconnecter, reconnectons. Mais à l’essentiel uniquement. Je vous laisse méditer, randonner, déconnecter, reconnecter, mais surtout, passer un bel été. (Et si ce n’est pas encore fait, n’oubliez pas de vous abonner à Pause marine, la newsletter pour déconnecter en randonnant ;-).

Les finisseurs : une anatomie de la Barkley

Deux livres pour découvrir l’ultra-distance de l’intérieur

C’était en 2015. Je venais de découvrir, incrédule, que des courses de plus 100 kilomètres existaient, et surtout que des gens qui semblaient en pleine possession de leurs moyens intellectuels les couraient volontairement. J’avais trouvé par hasard, chez mon libraire, une étrange BD, sobrement intitulée Les terribles et merveilleuses raisons pour lesquelles je cours de longues distances. Dans ce bouquin génial, The Oatmeal, l’auteur, raconte sa part du démon, celle qui lui fait écrire : « Je cours parce que c’est le seul moyen de faire taire le monstre qui sommeille en moi ». Ou comment courir des ultra-marathons lui a permis de prendre ses distances avec la nourriture et les relations compliquées qu’il entretient avec elle.

À l’époque, je marchais beaucoup, mais j’étais à peine capable de courir 3 kilomètres. Et encore, à condition d’avoir le vent dans le dos. Surtout, je n’avais aucune envie de courir. Depuis, les choses ont changé. Parce que depuis, j’ai compris que courir, ce n’était pas seulement mettre un pied devant l’autre en soufflant très fort. C’est beaucoup plus. C’est un mécanisme qui implique autant le physique que le mental, et qui permet de porter sur soi un autre regard. Aujourd’hui, je souffle toujours très fort, mais je vais plus loin. Et avec satisfaction.

Voilà pourquoi, quand j’ai découvert, toujours en 2015, l’existence de la Barkley, j’ai tout de suite trouvé cette épreuve fascinante. Je ne parle pas seulement du folklore qui l’entoure et qui fait partie de son charme (5 « marathons » à boucler en moins de 60 heures dans les montagnes du Tennessee, sa création suite à une évasion de prison, une inscription en forme de condoléances, une cigarette allumée pour donner le départ, entre autres bizarreries), mais surtout de ceux qui réussissent l’exploit de la finir. Depuis sa création il y a 35 ans, seuls 15, oui, q.u.i.n.z.e, participants sur les centaines qui l’ont courue, ont eu la force physique et mentale pour la terminer dans les temps. Alexis Berg, pour les photos, et Aurélien Delfosse, pour les textes, ont eu l’excellente idée d’aller à la rencontre de ces mythiques finishers, et de celui sans qui cette course n’existerait pas : Lazarus Lake, alias Laz, alias Gary Cantrell. Le résultat est formidable : dans ce livre tout simplement baptisé Les finisseurs, paru aux éditions Mons, on croise, au fil des pages, une succession d’histoires fortes. On y puisera, au final, de quoi se motiver dans la vie de tous les jours : un peu comme les poêles en Téflon sont issues de la recherche spatiale, il y a matière à enrichir notre quotidien en lisant ces finisseurs, qui ont su se débrouiller seuls, avec juste leurs baskets et leur tête, sans aucun GPS ou téléphone, ni assistance ou ravito, au milieu d’une nature hostile et en pente pas franchement douce.  

« Une bonne course aide les coureurs à trouver quelque chose en eux-mêmes, c’est un défi, une incertitude, tout cela réuni. » explique Laz dans la préface qu’il a rédigée. Alors que la course a lieu au moment même où j’écris ces lignes tranquillement installée dans mon fauteuil, j’ai une pensée particulière pour Jared Campbell, qui participe pour la 5e fois à la Barkley, après l’avoir finie trois fois, avec une classe et une humilité incroyables. Une grande pensée aussi pour les femmes engagées cette année (Go Courtney! Go Maggy!), en espérant que l’une d’entre elle puisse, pour la première fois dans l’histoire de la course, décliner finisseur au féminin. 

Edit : pas de finisseuse cette année, mais pas de finisseur non plus. La Barkley a encore gagné.

Les finisseurs, Alexis Berg & Aurélien Delfosse, éditions Mons, 39 €
Les terribles et merveilleuses raisons pour lesquelles je cours de longues distances, The Oatmeal, Marabout, 14,95 €

Pause marine, la newsletter pour déconnecter

Pause marine, l’instant détox avec vue sur mer

En ces temps de télétravail et de confinement, nous avons rarement été aussi cernés par les écrans. L’hyperconnexion nous guette, et avec elle la déconnexion avec notre environnement. Il est temps d’inverser la tendance : s’éloigner, au moins temporairement, des écrans, et se rapprocher de la nature. Une reconnexion durable. C’est ce que propose Pause marine, une nouvelle newsletter : tous les vendredis, partez en week-end dès midi en longeant la mer, en découvrant des parcours sauvages, de la côte normande à la baie de Somme, avec une vue magique. De quoi entamer une détox numérique…

Pour vous abonner, rendez-vous ici.

Une rue bientôt engloutie

C’est une adresse fantôme à l’aune du numérique : la rue du Chevington n’existe pas sur Google Maps. Une bête histoire d’orthographe. Sans le vouloir, Google a juste pris un peu d’avance : dans quelques années, peut-être mois, cette rue aura disparu, engloutie par les vagues une soixantaine de mètres plus bas. Cette petite rue, d’à peine 1 km, longe le littoral, et offre une vue magique sur la Manche. Je suis très souvent venue arpenter ce kilomètre merveilleux, qui imprègne l’âme et lave le regard. Mais c’en est fini de cet espace si inspirant, il est désormais interdit à la circulation, avant de disparaître peu à peu, par morceaux, et d’aller rejoindre l’estran.

La petite rue du Chevington, en haut, puis en bas…

Ici, le relief est sensible. Il est taillé dans la dentelle de craie. Les vagues qui battent inlassablement les flancs des falaises ont toujours le dernier mot. Leur travail de sape est implacable. Il y a quinze ans, une dizaine de maisons, dont le jardin donnait déjà sur le vide, ont été détruites par anticipation. 

À droite, on distingue encore une dizaine de maisons en bord de falaise début 2000.
À gauche, 20 ans plus tard…

Les éboulements, plus ou moins importants, se succèdent, au gré de la météo. La pluie abondante des derniers jours le laissait prévoir : un pan entier de la falaise vient de s’écrouler, faisant de la rue de Chevington le trait de côte au sens propre. Les jours de la rue sont comptés, comme le sont ceux de cette maison de vacances, qui n’est plus désormais qu’à quelques mètres du vide.

Je suis déjà nostalgique de cette rue éphémère, qui doit son nom à un naufrage, celui du Chevington, steamer qui, en mars 1896, par un jour de brouillard et de tempête, s’est échoué ici. Lors des très grandes marées, son épave est encore visible. La mer conserve tout, y compris les souvenirs engloutis de ces marches aérées, libres, avec cette impression luxueuse de faire jeu égal avec les goélands, et d’avoir le ciel, la mer, la terre pour moi toute seule. 

goéland falaise chevington randonnée

Des falaises et des chiffres

falaises normandes

D’ici 20 ans, le long des 140 kilomètres de la côte d’Albâtre, du Havre au Tréport, ce sont près de 230 hectares de falaises qui s’écrouleront, et cèderont leur place à la mer, soit l’équivalent de plus de 300 terrains de foot. Telles sont les prévisions du Cerema dans son étude sur le littoral de Seine-Maritime récemment publiée.

À marche forcée

À marche forcée

Quand on arrive en ville

La marche gagne du terrain. Non pas tant parce que de nouveaux sentiers voient le jour — même si c’est le cas —, mais parce que les urbains ont découvert, ou redécouvert, les vertus de la marche à l’aune de la crise sanitaire. C’est du moins ce qui ressort de l’Observatoire des mobilités émergentes, que viennent de publier les cabinets de conseil ObSoCo et Chronos. Ainsi, 27% des 4 500 Français sondés en octobre dernier ont déclaré marcher plus régulièrement (contre 6 % y ayant moins recours, soit un solde positif de + 21 %), et 11% utilisent plus souvent leur vélo (contre 5% qui s’en servent moins). C’est le grand retour de la mobilité de proximité, du « près de chez soi », du local, qui s’explique d’abord par une volonté d’échapper aux transports en commun (qui affichent un solde d’évolution négatif de – 10%) étant donné le contexte sanitaire. Pourtant, la marche, qui peut ainsi apparaître comme un second choix, contraint et forcé, pourrait devenir un mode de déplacement de premier choix dans un futur proche. Basique, écolo, saine, et idéale sur les petites distances au quotidien, elle a tout pour perdurer. L’essayer, c’est l’adopter : 8,1 sondés sur 10 sont satisfaits d’avoir opté pour ce mode de déplacement en ville (soit autant que les automobilistes, 8/10, satisfaits de leur voiture, et moins que les cyclistes, 7,7/10). Surtout, quand on demande aux urbains sondés quel mode de déplacement au quotidien ils vont privilégier dans les années à venir, la marche arrive en tête (et à pied aussi, on l’espère). 

La marche en ville revêt cependant des aspects différents : dans les grandes villes, ou dans les centres-villes, qui prévoient des zones piétonnes, ou des trottoirs relativement larges, ou des rues adaptées, faire un pas devant l’autre est presque naturel. Mais passer le périphérique relève parfois de l’exploit pour le piéton. Et passé le périphérique, sans parler de la France périphérique, l’automobile retrouve souvent tous ses droits au détriment du piéton, faute d’aménagements.
« On sous-estime la marche, mais la marche constitue l’une des briques essentielles de la ville durable et multimodale », relevait Sonia Lavadinho, chercheuse, dans une interview au Monde en 2018. Ne serait-ce déjà que parce que la marche est indispensable pour sortir du métro ou d’un parking.
Cet engouement pour la marche, déjà amorcé depuis quelques années, et qui a notamment donné naissance à un néologisme — la marchabilité, ou l’étude du potentiel piétonnier des villes, née il y a une vingtaine d’années sous l’impulsion de chercheurs américains — a été amplifié par la crise sanitaire. La ville, terrain de jeu outdoor comme les autres ?

Montagnes de mer

Ce fut une belle rando. Et une belle course. Une belle rando-course. Ou rando-trail. Bref, un parcours sublime avec un délicieux mélange d’allures et de sensations, tantôt à altitude zéro, tantôt à 100 mètres au-dessus des vagues, sans aucune platitude. Des lignes droites en trompe-l’œil, des pleins, des déliés, des petits monts et des petites merveilles. En tout, 14 kilomètres, et pas moins de 650 mètres de D+/-, dans un paysage sans filtre, brut de couleurs et de lumière, où même le souffle du vent est une invitation au voyage. 14 kilomètres de liberté pure, avec du vent, du soleil, des petits sentiers, un grand GR, des vaches, et une descente à pic dans une valleuse incroyable, battue par les vents. C’est exactement pour ce genre de sorties que j’ai décidé de me lancer dans l’aventure d’un marathon sur-mesure, aux portes de chez moi… À suivre. 

À l’assaut des falaises

Il se trouve qu’au bout de ma rue (ou presque, on n’est pas à quelques kilomètres près) démarre le GR21, élu GR préféré des Français en 2019, sous vos applaudissements. À la clé, 186 kilomètres de randonnée le long des falaises de la Côte d’Albâtre, jusqu’au Havre. Je ne suis pas allée jusqu’au Havre. Pas tout de suite. Un jour viendra. Pour le moment, je me suis contentée de la portion qui me servira de terrain de jeu pour le marathon que je prépare et dont je parlerai ici bientôt. Je suis donc partie à l’assaut des falaises de bon matin, avec l’idée de m’imprégner une fois de plus de ces lieux magiques.

Et elles se méritent ces falaises : le GR21 démarre par un escalier croquignolet de 365 marches, pour mieux se propulser à hauteur de goélands. Une bonne petite mise en jambes, pour une vue qui décoiffe. 

Le temps était plein d’oxymores, à la fois lourd et léger, d’une sombre luminosité, couleur galets, gris minéral, comme si l’été susurrait : « avant l’heure, c’est pas l’heure ». J’adore cette portion du littoral, qui chemine et culmine, et en met plein la vue pour que les jambes pensent à autre chose.

C’est exactement ce qu’il s’est passé : j’ai pris mon temps et des photos, j’ai humé les paysages, j’ai foulé les herbes folles des petits sentiers, emprunté le bitume avant de le rendre, et vagabondé sur les bas-côtés. En tout, 13 kilomètres sans contrainte, juste pour le plaisir d’explorer en marchant et vice-versa.  

Une micro-aventure… à Penly

J’ai l’extrême chance d’avoir le droit à des pastilles d’iode gratuites chez mon pharmacien. J’habite en effet dans un rayon suffisamment proche d’une centrale nucléaire pour avoir ce privilège. J’ai une peur bleue, verte, noire, du nucléaire. Les images de Tchernobyl et Fukushima, sans parler de celles d’Hiroshima et Nagasaki, hantent mon esprit. Pourtant, la centrale de Penly est d’une discrétion exemplaire dans mon paysage. Si ce n’étaient ces fameuses pastilles d’iode, j’en oublierais jusqu’à son existence. Je ne vis pas tout près non plus. Mais que représentent une vingtaine de kilomètres à vol d’oiseau ? Rien, surtout si le vent souffle du mauvais côté. Alors, que dire des gens qui vivent dans le village ? Je suis donc allée me promener dans le village de Penly. Humer l’atmosphère. Affronter ma peur et la dominer. Spoiler : je n’ai pas croisé âme qui vive, à l’exception notable de deux chiens assez peu amènes, mais heureusement retenus dans leur hargne par un épais grillage. J’ai arpenté la rue principale du village dans un silence assez étonnant, à peine troublé par quelques caquètements de poules. Plusieurs fermes ont résisté à l’installation de la centrale. Ce qui donne à Penly — 431 penlyais au dernier recensement — une étonnante image de village-dortoir agricole. Ici, comme dans la plupart des villages français, le piéton est un intrus, malgré les trottoirs qui bordent consciencieusement les rues. On va au travail en voiture, on emmène les enfants à l’école en voiture, on fait les courses en voiture. Et pour cause : il n’y a plus ni école ni commerces dans les petits bourgs de campagne. Il faut avoir l’esprit un peu excentrique pour flâner dans les rues de Penly, j’assume.
À l’exception de ces immenses pylones à la sortie du bourg, rien ne signale la centrale, nichée dans son écrin calcaire, cent mètres plus bas. 

À vrai dire, si je n’étais pas attirée par le large et la mer, je n’aurais pas suivi mon instinct ni cette pancarte, invitation à randonner avec vue.  

J’aime tellement ce genre de perspective.

Plus tard, en consultant le portail IGN, j’apprendrai que cette rue porte le nom délicieux de « Tante Lucienne ».

Quand soudain…

En contrebas de cette petite route, la centrale. La lumière est magnifique. Et toujours, ce silence sauvage, oxymore inquiétant et rassurant. 

L’accès à l’estran, comme un col de montagne de mer, tranche avec les valleuses (autrefois appelées gorges) de la région, souvent escarpées, parfois impraticables, rarement goudronnées. 

À en juger par les stickers, le lieu est connu des skateurs. Tu m’étonnes. Les spots de skate avec vue imprenable sur la mer en toute tranquillité ne courent pas les rues, et encore moins les falaises. 

À quelque détail près — et ce n’est pas le goéland —, c’est une falaise comme les autres. 

Le chou marin, espèce protégée car de plus en plus rare, se plaît dans les coteaux.

Et puis, après quelques lacets, un cul-de-sac. Et cette pancarte inattendue :

Car oui, on pêche à Penly, au pied de la centrale. 

Quant à manger le produit de sa pêche, c’est une autre histoire.

« Gisement de qualité fluctuante » précisent les analyses. La bactérie e-coli semble apprécier les eaux locales. 

Je ne l’ai pas remarqué tout de suite, mais un petit escalier prolonge le cheminement, invitation à descendre à altitude zéro, et à se rapprocher de la centrale. En contrebas, toujours le silence, le calme, contrastant avec l’imaginaire nucléaire. Je l’avoue, j’ai un peu hésité. Et puis l’envie de dominer ma peur du nucléaire, en m’en approchant au plus près, en l’accostant, m’ont convaincue.  

En bas, ambiance Berlin-Est. La pêche à pied à Penly, ça se mérite. 

Enfin, au bout du chemin, la mer. 

Avec un panorama sur la mystérieuse valleuse de Parfonval. Au XVIIIe siècle, le lieu était surnommé « la corde des contrebandiers ». C’est ici, exactement, que le chouan Georges Cadoudal a débarqué un soir d’août 1803, en provenance d’Angleterre, avec pour objectif de kidnapper Napoléon…

Escalade de la falaise de Biville, aquarelle d’Armand de Polignac. En 200 ans, la falaise a perdu des pans entiers, mais pas de sa superbe.

Voilà, c’est fini. Ce fut une étrange petite balade de 7 kilomètres, entre village, centrale, falaises, histoire de France, estran, surprises et insolite. 

Micro-aventures au bout de ma rue

J’ai découvert récemment le concept de micro-aventures. J’avoue que je me suis reconnue dans cette idée d’explorer notre voisinage avec un œil curieux, de faire de la proximité géographique un terrain de jeu et de découvertes. C’est ce que je fais en marchant ou en courant localement. Je réhabilite mon environnement, en lui découvrant des sensations décoiffantes : grimper le sentier abrupt d’une falaise, chasser les images de vagues par grand vent, arpenter des lotissements (un jour, j’écrirai sur les lotissements), partir sur les traces d’ermites disparus, ou décaper l’histoire ancienne alentour. Bref, tout ce qui est local — quel que soit le « local » où je me trouve, qu’il soit maritime, viticole, citadin, etc. — présente un intérêt à mes yeux, le premier d’entre eux étant une logistique réduite à l’essentiel : des bonnes chaussures et un œil vif. Je compense l’impossibilité en temps et en organisation familiale de grandes aventures lointaines, par des micro-aventures en solo (et parfois avec le fiston), aussi souvent que possible. J’agis généralement en trois étapes : je me laisse d’abord porter par mon instinct. C’est la phase repérage. J’avoue avoir un certain flair pour dénicher le chemin a priori anodin mais pas tant que ça, la vue imprenable mais bien cachée, le village tranquille au passé incroyable. Deuxième étape : retour à la maison, où je mène l’enquête, aidée du portail IGN, de Gallica, et de tous les sites qui peuvent m’informer sur les lieux. Troisième et dernière étape : retour sur les lieux, avec un itinéraire préparé, généralement allongé, où je fais le plein de sensations grâce aux paysages, auxquels se rajoute une couche d’informations qui me permettent d’appréhender les chemins et les routes traversés en frissonnant ou en m’extasiant. Parfois, les lieux n’ont aussi d’autre intérêt que de fournir un terrain de sport idéal, souvent parce que la route est belle et praticable, sans voiture et sans foule… Je posterai ici régulièrement mes micro-aventures. Stay tuned et en attendant, chaussez vos baskets.