Le paradoxe de la déconnexion

Après cette étrange année, faite de télétravail, de distanciel, de visios, de mails et d’écrans à n’en plus finir, il était temps de déconnecter. Mais déconnecter de quoi au final ? Parce que je ne sais pas vous, mais moi, je me sers beaucoup de mon smartphone en vacances… et pourtant je n’ai vraiment pas la tête dans les pixels. Paradoxe ?

Un (tout petit peu) peu plus près des étoiles

La tête tournée vers les sommets, assise face au mont Blanc — non loin de là où l’écrivain John Ruskin avait ses habitudes (une « pierre à Ruskin » commémore son passage et ses habitudes contemplatives à Chamonix) —, je glisse un peu de verticalité dans mes idées, pour mieux les agiter.

Idées fraîches avec vue sur les glaciers des Bossons et de Taconnaz sur le sentier de la « pierre à Ruskin ».

Car figurez-vous qu’alors que je suis en vacances, je me surprends à me servir beaucoup de mon smartphone. Je me pose donc la question : la déconnexion des esprits doit-elle obligatoirement s’accompagner d’une déconnexion totale du numérique ? En d’autres termes, faut-il complètement couper les ponts, et le Wi-Fi, avec son smartphone, pour renouer avec la tranquillité ?

On n’est pas bien là ?

Bien sûr que non. Une vie sans Internet est devenue totalement utopique. Elle est possible. Aussi possible et facile que vivre dans une grotte. Nos comportements excessifs avec les univers connectés sont problématiques, mais Internet en soi est une invention formidable.

Balmat montrant à Saussure une borne wi-fi

Je n’ai donc pas du tout remisé mon smartphone dans un tiroir, c’est peut-être même l’inverse. J’ai téléchargé l’appli Chamonix qui me fournit ma dose de météo, activités, transports ; couplée à Maps et mes applis de rando, elle me sert à organiser mes journées de piétonne au pays des grimpeurs. Je dégaine l’appareil photo, évidemment. Je dégaine aussi le pass sanitaire le cas échant (très loin de toute polémique). Et savoir que s’il se passe quoi que ce soit pendant une randonnée en montagne, je peux joindre de suite quelqu’un (à condition d’avoir du réseau, ce qui est le cas même à 3 800 mètres…) est sacrément sécurisant. Et parce que j’ai cette forme de sécurité pratique dans mon sac à dos, je me sens parfaitement déconnectée : je suis loin des urgences professionnelles, mais au plus près de mon lieu de vacances.

En toute zénitude

Parce que pour le reste, j’ai tout coupé : les alertes habituelles des applis de médias auxquels je suis abonnée, et les notifications d’où qu’elles viennent. J’ai dans la foulée également coupé le son et le vibreur. Je ne consulte mes mails qu’épisodiquement. Mes comptes sur les réseaux sont en sommeil. Et j’ai définitivement la tête hors des pixels.

Connectée, mais au paysage.

Il suffit parfois de prendre un peu de hauteur pour y voir plus clair. Les vacances sont une période propice à une réorganisation en douceur du temps. Ou plutôt des temps : priorité au temps familial, social, au temps de loisir, et cette priorité doit trouver un écho sur le smartphone. Notre téléphone doit s’adapter à nous, et non l’inverse. Pendant la période estivale, notre rapport au numérique peut n’être concentré que sur l’aspect pratique : ne prendre que ce qui nous facilite la vie, et ne surtout pas prendre la tête. Nous avons la chance d’avoir dans la poche un guide de voyage, un organisateur, un appareil photo, un traducteur, n’hésitons pas à nous y connecter… pour mieux déconnecter du reste.

La déconnexion des esprits passe par une petite dose de Wi-Fi… La solution est peut-être là : pour déconnecter, reconnectons. Mais à l’essentiel uniquement. Je vous laisse méditer, randonner, déconnecter, reconnecter, mais surtout, passer un bel été. (Et si ce n’est pas encore fait, n’oubliez pas de vous abonner à Pause marine, la newsletter pour déconnecter en randonnant ;-).

Une rue bientôt engloutie

C’est une adresse fantôme à l’aune du numérique : la rue du Chevington n’existe pas sur Google Maps. Une bête histoire d’orthographe. Sans le vouloir, Google a juste pris un peu d’avance : dans quelques années, peut-être mois, cette rue aura disparu, engloutie par les vagues une soixantaine de mètres plus bas. Cette petite rue, d’à peine 1 km, longe le littoral, et offre une vue magique sur la Manche. Je suis très souvent venue arpenter ce kilomètre merveilleux, qui imprègne l’âme et lave le regard. Mais c’en est fini de cet espace si inspirant, il est désormais interdit à la circulation, avant de disparaître peu à peu, par morceaux, et d’aller rejoindre l’estran.

La petite rue du Chevington, en haut, puis en bas…

Ici, le relief est sensible. Il est taillé dans la dentelle de craie. Les vagues qui battent inlassablement les flancs des falaises ont toujours le dernier mot. Leur travail de sape est implacable. Il y a quinze ans, une dizaine de maisons, dont le jardin donnait déjà sur le vide, ont été détruites par anticipation. 

À droite, on distingue encore une dizaine de maisons en bord de falaise début 2000.
À gauche, 20 ans plus tard…

Les éboulements, plus ou moins importants, se succèdent, au gré de la météo. La pluie abondante des derniers jours le laissait prévoir : un pan entier de la falaise vient de s’écrouler, faisant de la rue de Chevington le trait de côte au sens propre. Les jours de la rue sont comptés, comme le sont ceux de cette maison de vacances, qui n’est plus désormais qu’à quelques mètres du vide.

Je suis déjà nostalgique de cette rue éphémère, qui doit son nom à un naufrage, celui du Chevington, steamer qui, en mars 1896, par un jour de brouillard et de tempête, s’est échoué ici. Lors des très grandes marées, son épave est encore visible. La mer conserve tout, y compris les souvenirs engloutis de ces marches aérées, libres, avec cette impression luxueuse de faire jeu égal avec les goélands, et d’avoir le ciel, la mer, la terre pour moi toute seule. 

goéland falaise chevington randonnée

Des falaises et des chiffres

falaises normandes

D’ici 20 ans, le long des 140 kilomètres de la côte d’Albâtre, du Havre au Tréport, ce sont près de 230 hectares de falaises qui s’écrouleront, et cèderont leur place à la mer, soit l’équivalent de plus de 300 terrains de foot. Telles sont les prévisions du Cerema dans son étude sur le littoral de Seine-Maritime récemment publiée.

Montagnes de mer

Ce fut une belle rando. Et une belle course. Une belle rando-course. Ou rando-trail. Bref, un parcours sublime avec un délicieux mélange d’allures et de sensations, tantôt à altitude zéro, tantôt à 100 mètres au-dessus des vagues, sans aucune platitude. Des lignes droites en trompe-l’œil, des pleins, des déliés, des petits monts et des petites merveilles. En tout, 14 kilomètres, et pas moins de 650 mètres de D+/-, dans un paysage sans filtre, brut de couleurs et de lumière, où même le souffle du vent est une invitation au voyage. 14 kilomètres de liberté pure, avec du vent, du soleil, des petits sentiers, un grand GR, des vaches, et une descente à pic dans une valleuse incroyable, battue par les vents. C’est exactement pour ce genre de sorties que j’ai décidé de me lancer dans l’aventure d’un marathon sur-mesure, aux portes de chez moi… À suivre. 

À l’assaut des falaises

Il se trouve qu’au bout de ma rue (ou presque, on n’est pas à quelques kilomètres près) démarre le GR21, élu GR préféré des Français en 2019, sous vos applaudissements. À la clé, 186 kilomètres de randonnée le long des falaises de la Côte d’Albâtre, jusqu’au Havre. Je ne suis pas allée jusqu’au Havre. Pas tout de suite. Un jour viendra. Pour le moment, je me suis contentée de la portion qui me servira de terrain de jeu pour le marathon que je prépare et dont je parlerai ici bientôt. Je suis donc partie à l’assaut des falaises de bon matin, avec l’idée de m’imprégner une fois de plus de ces lieux magiques.

Et elles se méritent ces falaises : le GR21 démarre par un escalier croquignolet de 365 marches, pour mieux se propulser à hauteur de goélands. Une bonne petite mise en jambes, pour une vue qui décoiffe. 

Le temps était plein d’oxymores, à la fois lourd et léger, d’une sombre luminosité, couleur galets, gris minéral, comme si l’été susurrait : « avant l’heure, c’est pas l’heure ». J’adore cette portion du littoral, qui chemine et culmine, et en met plein la vue pour que les jambes pensent à autre chose.

C’est exactement ce qu’il s’est passé : j’ai pris mon temps et des photos, j’ai humé les paysages, j’ai foulé les herbes folles des petits sentiers, emprunté le bitume avant de le rendre, et vagabondé sur les bas-côtés. En tout, 13 kilomètres sans contrainte, juste pour le plaisir d’explorer en marchant et vice-versa.  

Une micro-aventure… à Penly

J’ai l’extrême chance d’avoir le droit à des pastilles d’iode gratuites chez mon pharmacien. J’habite en effet dans un rayon suffisamment proche d’une centrale nucléaire pour avoir ce privilège. J’ai une peur bleue, verte, noire, du nucléaire. Les images de Tchernobyl et Fukushima, sans parler de celles d’Hiroshima et Nagasaki, hantent mon esprit. Pourtant, la centrale de Penly est d’une discrétion exemplaire dans mon paysage. Si ce n’étaient ces fameuses pastilles d’iode, j’en oublierais jusqu’à son existence. Je ne vis pas tout près non plus. Mais que représentent une vingtaine de kilomètres à vol d’oiseau ? Rien, surtout si le vent souffle du mauvais côté. Alors, que dire des gens qui vivent dans le village ? Je suis donc allée me promener dans le village de Penly. Humer l’atmosphère. Affronter ma peur et la dominer. Spoiler : je n’ai pas croisé âme qui vive, à l’exception notable de deux chiens assez peu amènes, mais heureusement retenus dans leur hargne par un épais grillage. J’ai arpenté la rue principale du village dans un silence assez étonnant, à peine troublé par quelques caquètements de poules. Plusieurs fermes ont résisté à l’installation de la centrale. Ce qui donne à Penly — 431 penlyais au dernier recensement — une étonnante image de village-dortoir agricole. Ici, comme dans la plupart des villages français, le piéton est un intrus, malgré les trottoirs qui bordent consciencieusement les rues. On va au travail en voiture, on emmène les enfants à l’école en voiture, on fait les courses en voiture. Et pour cause : il n’y a plus ni école ni commerces dans les petits bourgs de campagne. Il faut avoir l’esprit un peu excentrique pour flâner dans les rues de Penly, j’assume.
À l’exception de ces immenses pylones à la sortie du bourg, rien ne signale la centrale, nichée dans son écrin calcaire, cent mètres plus bas. 

À vrai dire, si je n’étais pas attirée par le large et la mer, je n’aurais pas suivi mon instinct ni cette pancarte, invitation à randonner avec vue.  

J’aime tellement ce genre de perspective.

Plus tard, en consultant le portail IGN, j’apprendrai que cette rue porte le nom délicieux de « Tante Lucienne ».

Quand soudain…

En contrebas de cette petite route, la centrale. La lumière est magnifique. Et toujours, ce silence sauvage, oxymore inquiétant et rassurant. 

L’accès à l’estran, comme un col de montagne de mer, tranche avec les valleuses (autrefois appelées gorges) de la région, souvent escarpées, parfois impraticables, rarement goudronnées. 

À en juger par les stickers, le lieu est connu des skateurs. Tu m’étonnes. Les spots de skate avec vue imprenable sur la mer en toute tranquillité ne courent pas les rues, et encore moins les falaises. 

À quelque détail près — et ce n’est pas le goéland —, c’est une falaise comme les autres. 

Le chou marin, espèce protégée car de plus en plus rare, se plaît dans les coteaux.

Et puis, après quelques lacets, un cul-de-sac. Et cette pancarte inattendue :

Car oui, on pêche à Penly, au pied de la centrale. 

Quant à manger le produit de sa pêche, c’est une autre histoire.

« Gisement de qualité fluctuante » précisent les analyses. La bactérie e-coli semble apprécier les eaux locales. 

Je ne l’ai pas remarqué tout de suite, mais un petit escalier prolonge le cheminement, invitation à descendre à altitude zéro, et à se rapprocher de la centrale. En contrebas, toujours le silence, le calme, contrastant avec l’imaginaire nucléaire. Je l’avoue, j’ai un peu hésité. Et puis l’envie de dominer ma peur du nucléaire, en m’en approchant au plus près, en l’accostant, m’ont convaincue.  

En bas, ambiance Berlin-Est. La pêche à pied à Penly, ça se mérite. 

Enfin, au bout du chemin, la mer. 

Avec un panorama sur la mystérieuse valleuse de Parfonval. Au XVIIIe siècle, le lieu était surnommé « la corde des contrebandiers ». C’est ici, exactement, que le chouan Georges Cadoudal a débarqué un soir d’août 1803, en provenance d’Angleterre, avec pour objectif de kidnapper Napoléon…

Escalade de la falaise de Biville, aquarelle d’Armand de Polignac. En 200 ans, la falaise a perdu des pans entiers, mais pas de sa superbe.

Voilà, c’est fini. Ce fut une étrange petite balade de 7 kilomètres, entre village, centrale, falaises, histoire de France, estran, surprises et insolite. 

Micro-aventures au bout de ma rue

J’ai découvert récemment le concept de micro-aventures. J’avoue que je me suis reconnue dans cette idée d’explorer notre voisinage avec un œil curieux, de faire de la proximité géographique un terrain de jeu et de découvertes. C’est ce que je fais en marchant ou en courant localement. Je réhabilite mon environnement, en lui découvrant des sensations décoiffantes : grimper le sentier abrupt d’une falaise, chasser les images de vagues par grand vent, arpenter des lotissements (un jour, j’écrirai sur les lotissements), partir sur les traces d’ermites disparus, ou décaper l’histoire ancienne alentour. Bref, tout ce qui est local — quel que soit le « local » où je me trouve, qu’il soit maritime, viticole, citadin, etc. — présente un intérêt à mes yeux, le premier d’entre eux étant une logistique réduite à l’essentiel : des bonnes chaussures et un œil vif. Je compense l’impossibilité en temps et en organisation familiale de grandes aventures lointaines, par des micro-aventures en solo (et parfois avec le fiston), aussi souvent que possible. J’agis généralement en trois étapes : je me laisse d’abord porter par mon instinct. C’est la phase repérage. J’avoue avoir un certain flair pour dénicher le chemin a priori anodin mais pas tant que ça, la vue imprenable mais bien cachée, le village tranquille au passé incroyable. Deuxième étape : retour à la maison, où je mène l’enquête, aidée du portail IGN, de Gallica, et de tous les sites qui peuvent m’informer sur les lieux. Troisième et dernière étape : retour sur les lieux, avec un itinéraire préparé, généralement allongé, où je fais le plein de sensations grâce aux paysages, auxquels se rajoute une couche d’informations qui me permettent d’appréhender les chemins et les routes traversés en frissonnant ou en m’extasiant. Parfois, les lieux n’ont aussi d’autre intérêt que de fournir un terrain de sport idéal, souvent parce que la route est belle et praticable, sans voiture et sans foule… Je posterai ici régulièrement mes micro-aventures. Stay tuned et en attendant, chaussez vos baskets.    

Peut-on encore être seul au monde ?

Il y a peu, l’algorithme d’Instagram, au vu de mes publications, de mes likes, et de mes interactions diverses et variées, a détecté que je pouvais être sensible au concept de seulaumonditude. Et m’a, en conséquence, suggéré de suivre le hashtag #seulaumonde. Je suis d’habitude peu sensible aux suggestions de l’algorithme ; par goût de la sérendipité, et parce que j’aime avoir l’illusion que je reste maître de mon destin numérique, je préfère découvrir par moi-même, au hasard de mes pérégrinations en ligne, des comptes ou hashtags intéressants.

Pourtant, quand #seulaumonde est apparu dans mon flux, je l’avoue, j’ai été interpellée. Peut-on encore, en 2019, être seul au monde ? C’est une question très actuelle. Et éminemment troublante, du moins pour moi. J’ai donc cliqué, pour voir ce qui se cache derrière #seulaumonde. Au moment où j’ai cliqué, près de 75 000 photos Instagram revendiquaient l’éventualité d’être au seul au monde. Seul au monde un peu partout en fait : au bord de l’eau, dans le désert, chez soi, en France, à l’étranger. Seul au monde avec son smartphone et les réseaux sociaux, on est d’accord que c’est une posture, pas une réalité. Au mieux un ressenti. Mais si tant d’instagrammeurs n’hésitent pas à accoler ce hashtag à leurs posts, c’est qu’il fait sens. Alors quel est-il, ce sens ? S’agit-il du sens du vent ? Pourquoi faire semblant de se croire seul au monde ? Pourquoi ce sentiment de solitude est-il mis en scène ? Peut-être parce qu’il s’agit d’une denrée de plus en plus rare. À ce titre, le 22 mai dernier peut être considéré comme un jour tristement historique : ce jour-là, l’alpiniste Nirmal Purja publie sur son compte Instagram une photo montrant une file d’attente pour le sommet de l’Everest. Ce jour-là, environ 320 personnes se sont succédées sur le toit du monde. Ce jour-là, l’équivalent d’un petit village s’est retrouvé à 8 848 mètres d’altitude, par des températures oscillant entre – 20° et – 30°… Un record d’affluence, dans un lieu pourtant inhospitalier. Et sauvage. Du moins en théorie.

Si même les milieux extrêmes non seulement ne protègent pas de la foule, mais l’attirent, existe-t-il un endroit sur terre où l’on puisse encore vraiment être seul au monde ? On sait depuis Aristote que l’homme est un animal social, mais j’avoue que plus j’avance en âge, plus j’ai besoin de savoir que si j’en ai envie, je peux déconnecter des réseaux et de mes congénères. Pas tout le temps ni très longtemps, juste le temps de recharger les batteries mentales, de faire le vide et de repartir du bon pied. Dans un endroit suffisamment sauvage et dépeuplé. C’est un peu ma crainte : que les endroits sauvages et dépeuplés disparaissent peu à peu.

Il existe des endroits magnifiques, qui étaient jusqu’à maintenant peu fréquentés, restés à l’abri des regards. Mais qui aujourd’hui à cause d’Instagram, deviennent des hauts-lieux du tourisme de masse, avec tous les inconvénients liés à cette situation, au premier rang desquels la pollution. D’où ma question : existe-t-il encore des lieux où l’on puisse être seul au monde ? Sûrement. Mais ils ne sont pas sur Instagram, ni aucun réseau social.   

Seul(e) au monde, oui, mais sans mon smartphone.

Ce petit chemin…

C’est l’histoire d’un chemin, un petit chemin, un petit parcours de rien du tout, à peine 5 kilomètres, mais un parcours plein de promesses, un parcours cheveux au vent et tête en l’air, un parcours par cœur, de ceux qu’on suit les yeux fermés à force de les avoir arpentés, mais qui réussissent l’exploit de se renouveler à chaque sortie. Il prend sa source sur le bitume, l’air de rien, trottoir banal et conventionnel au milieu de la ville, avant, au détour d’un pâté de maison, de s’écarter furtivement de toute urbanité pour s’ensauvager abruptement, et inviter celui qui s’y aventure à oublier ses habitudes de piéton des villes. Des pierres, des ronces, des buissons sur un sentier étroit qui grimpe allegro : pas de quartier pour les marcheurs du dimanche, on n’est pas là pour faire de la figuration. Pour ceux qui passent ce barrage, une première récompense après dix minutes d’un bon petit dénivelé : une vue imprenable sur le bord de mer. Il faut prendre le temps de souffler une fois arrivé sur le plateau, de prendre de la hauteur. C’est le premier décrochage avec le quotidien, c’est généralement à cet endroit que je laisse derrière moi le stress, les agacements, les gens pénibles, et de manière générale tout ce qui m’a poussée à quitter mon bureau pour aller m’aérer. Je faisais la même chose quand j’avais 10 ou 12 ans pour tromper l’ennui de la campagne. J’avais un chemin secret où j’allais parfois le mercredi après-midi juste pour me remplir la tête avec des arbres et de l’eau, j’allais faire des ricochets au bord de la rivière en m’imaginant que moi seule connaissais cet endroit qui me semblait si sauvage. Je vous parle d’un temps… révolu, où les parents n’avaient pas peur de laisser leur enfant se balader seul. Je réaliserai quelques années plus tard que mon endroit secret était en fait un spot bien connu des pêcheurs du coin. Mais c’est pas grave, il reste aujourd’hui encore, quand j’y retourne, mon endroit secret. Alors quand je grimpe là-haut en suivant mon petit chemin, j’ai l’impression de redevenir cette gamine qui va faire des ricochets le mercredi après-midi. Je renoue, le temps d’une balade, avec l’insouciance des jeunes années. Avec, surtout, ce sentiment intense de liberté, sans fil à la patte, et avec un paysage qui fait office d’écran géant.

Car arrivée à mi-parcours, ce petit chemin… n’a ni queue ni tête, comme dans la chanson, mais rejoint la falaise : effet wow garanti à plus de 100 mètres de hauteur. Non seulement les soucis sont loin derrière, mais l’esprit est happé par le vent, les vagues, le vide, l’horizon, les goélands. C’est en longeant la falaise que je fais le plein de résolutions, que je trouve des solutions, ou simplement que j’arrête de penser pour juste ressentir, et je me rends compte à quel point c’est un luxe. Je suis prête pour amorcer la descente en douceur, pour revenir vers la civilisation, quitter ce petit chemin pour retrouver le bitume, tranquillement, et attaquer la journée du bon pied…

Et vous ? Vous avez votre petit chemin ? Celui dont on ne se lasse pas ? Celui qui se transforme à chaque pas ? À la fois toujours le même et toujours différent ?

Ce qui me meut m’émeut : sensations en pente douce

Peur, frissons, mais aussi et surtout bien-être et sérénité sont au bout du sentier.

Tout coureur, qu’il soit aguerri ou dilettante comme moi, s’est un jour posé cette question : mais pourquoi cours-je ? Après quoi ? Evidemment, la question m’a d’autant plus traversé l’esprit que je n’aurais jamais pensé me la poser un jour. Mon manque d’appétence – c’est un euphémisme – pour la course à pied en particulier, et le sport en général, m’avaient épargné ce genre d’interrogation. Ironie du sort, c’est en marchant que la réponse m’a sauté aux yeux : je cours pour les sensations, je cours surtout après les sensations.

Bon sang mais c’est bien sûr ! J’aurais pu dire que je cours pour aller plus vite, ce qui n’est pas seulement un truisme. Ou pour grappiller des années de vie, ce qui est vrai. Mais par-dessus tout, ce qui m’a donné ce goût de reviens-y à enfiler des baskets pour courir et aller à l’encontre de ma nature (et accessoirement à la rencontre de la nature aussi), ce sont ces bonnes, grosses, fortes sensations éprouvées pendant et après chaque run, qu’il s’agisse d’un entraînement, d’une compète du dimanche ou d’un trail avec dénivelé. J’aime ressentir cette sensation unique de délassement après une course, ces sensations si intenses pendant l’effort, contre lesquelles il faut parfois lutter ; cette sensation particulièrement forte quand je réussis à franchir une ligne d’arrivée ; et cette sensation de bien-être après une séance d’entraînement.

En marchant aussi, j’éprouve des sensations. En marchant aussi, je peux ressentir ce lâcher d’endorphines. Mais ce n’est pas mon moteur. Je marche pour un tas de raisons, mais d’abord parce que la marche m’émeut. Je ressens un paquet d’émotions quand je randonne. Et je fais bien la différence avec les sensations de la course. Ces sensations sont produites par mon moteur interne – et elles l’alimentent également en retour selon un mécanisme bien huilé –, grâce au déclenchement des endorphines ou de la dopamine ; elles sont alchimiques, au croisement du mental et du physique – ok, on peut dire physiologiques aussi, mais alchimiques correspond bien davantage à mon ressenti… –.      

La marche longue distance, la randonnée, amplifient les émotions. Elles sont un réservoir à joie, apaisement, sérénité, surprise, délectation, ravissement, peur parfois, et tant d’autres nuances encore. Toutes ces émotions ne sont pas seulement le fruit d’un produit intérieur brut, mais doivent beaucoup au monde qui m’entoure. C’est parce que je traverse un paysage magnifique, étrange, sauvage, ou chargé de souvenirs, que j’éprouve de la joie, de la sérénité ou de la nostalgie. Elles sont intrinsèquement liées à l’environnement, à la perception que j’en ai.

Être capable d’éprouver des émotions en plein air, des sensations en pente douce, loin de toutes les notifications de mon téléphone ou de mon ordinateur, c’est aussi ce qui m’a permis de reprendre pied sur terre, et de m’éloigner des octets.

Et vous ? Qu’est-ce qui vous (é)meut ?

Comment l’air du large a aidé à ma transformation numérique

On m’a demandé récemment si le fait d’habiter là où j’habite – au bord de la Manche, au bord des falaises, au bord de l’horizon – avait facilité ma déconnexion des réseaux sociaux. La réponse est oui. Bien sûr. Évidemment. Il est toujours plus facile d’ouvrir sa fenêtre quand elle a vue sur mer que son écran d’ordinateur quand il est source de stress. Il est toujours plus sain de se perdre dans la nature sauvage que dans la nature humaine telle qu’elle se donne à voir sur les réseaux sociaux.

Mais la réponse est aussi non : c’est parce que j’ai quitté Paris pour cette province un peu lointaine – belle, sauvage, profonde, mais un peu lointaine – que j’ai joué le jeu des réseaux sociaux. C’était alors pour moi une nouvelle manière de retrouver des collègues à la machine à café, de papoter, de parler boulot, de mener des projets, de faire de nouvelles connaissances, de me détendre… tout en étant à 2 heures de Paris (et de toute civilisation). Mais ça, c’était avant. Avant d’avoir envie de grand air et de grand large, avant d’avoir besoin de me ressourcer, avant d’avoir besoin de me connecter autrement, avant d’avoir besoin de marcher, d’avancer, de courir, de randonner, bref, de bouger. Et c’est parce que les sentiers des falaises me tendaient les bras que j’y ai mis les pieds. C’est parce que la baie de Somme me faisait de l’oeil que j’ai commencé à jouer les exploratrices du littoral. C’est parce que j’habite une région propice aux randonnées que j’ai commencé à marcher, puis courir. De plus en plus souvent et de plus en plus longtemps, en fonction de mon besoin de sortir du grand bain numérique et de m’aérer. Donc, oui, les abords de la Manche m’ont aidée à m’éloigner des réseaux sociaux au moment où j’en ai eu besoin. Je me suis tournée vers l’extérieur parce que cet extérieur était beau, parce que les paysages alentour étaient un appeau à émotions fortes, parce que j’y ai vu la possibilité d’une échappatoire à la haute tension en ligne. Parce que mon regard sur le monde avait changé aussi. Ce qui, à mon installation, m’avait semblé rude – cette nature sauvage – et m’avait poussée à passer énormément de temps sur Internet a été ma porte de sortie vers un ailleurs respirable.

Donc, oui, le lieu d’habitation a une influence sur notre comportement, en ligne ou hors ligne. Si vous aussi ressentez le besoin de couper les ponts avec une vie numérique trop intense, appuyez-vous sur le paysage qui vous entoure. Il est votre meilleur allié pour raccrocher les baskets. Mais surtout pour les chausser.

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