Patience et longueur de temps
Entorse J+… je ne compte plus. Seuls comptent désormais les J-, ceux qui me rapprochent de la station debout, du grand air, de la marche, de la liberté. Depuis que j’ai renoué ici avec l’écriture, j’explore mon historique personnel. Je plonge dans le passé pour mieux comprendre le présent, pour essayer de démêler tous ces fils interconnectés, tous ces liens entre univers numérique et monde physique. Mais se projeter et penser à demain, voilà qui fait du bien, qui motive. Demain, ou la semaine prochaine, ou dans quinze jours, ou, bref, demain, donc, un pied après l’autre, j’avancerai, je retrouverai peu à peu l’usage de ma cheville, je réapprendrai une bonne gestuelle, une meilleure posture, je nagerai, je ferai du vélo, puis je marcherai un peu plus longtemps, un peu plus vite. Et puis, d’ici quelques semaines, je trottinerai, un peu. Et une fois la cheville totalement réparée, je repartirai pour un tour, puis deux, puis trois, tranquille, prudente, mais surmotivée. Ce futur proche plein de promesses d’endorphines, c’est lui qui me permet de transformer la douleur de l’entorse en une simple formalité. C’est lui qui me permet de prendre mon mal en patience. J’ai mal, mais ça ne m’empêchera pas d’avancer, encore moins de finir cette course contre l’entorse. Je franchirai la ligne d’arrivée coûte que coûte.
L’envie de pouvoir courir à nouveau ne m’a pas lâchée d’une semelle depuis la seconde où je suis tombée. S’il y a quelque chose que j’ai appris de ces quelques mois d’entraînements et de courses, c’est que quand on est motivé, quand l’envie est là, le reste suit. Tout le contraire de ma première expérience de course, où tout manquait : le souffle et la motivation.
C’est ma vision de l’endurance. L’endurance, ce sont ces petites phrases qui vadrouillent dans la tête, et qui font qu’on n’abandonne pas une course alors qu’on ne pense qu’à ça depuis les trois premiers kilomètres et qu’il en reste encore dix. C’est cette envie d’aller au bout alors que le souffle manque depuis déjà une bonne demi-heure. C’est cette image de la ligne d’arrivée et de toutes ces émotions fortes, fierté, joie, soulagement, qu’on a hâte de ressentir et qui fait qu’on oublie les jambes qui crient stop.
L’endurance est certes physique, mais elle est avant tout mentale. C’est d’abord la tête qui court. Même schéma en période de convalescence : c’est la tête qui garde le cap, qui donne la force. C’est elle qui dit : “ OK corps, pour l’instant tu ne peux rien faire, mais c’est temporaire. Bientôt tu retrouveras tes chers sentiers, piano, sano. “ Et le corps qui répond : “ Ok esprit, je la mets en sourdine “.
Je me rends compte à quel point avoir réussi à finir mon premier trail en montagne m’est utile au quotidien, combien ces 13km et 1 000 mètres de dénivelé m’ont apporté et continuent de m’aider à aller de l’avant. Combien ils m’ont réconciliée avec moi-même. On a tous des raisons, plus ou moins bonnes, plus ou moins claires, de courir. Je crois que pour moi, il s’agissait d’aller voir là-haut si j’y étais. Il se trouve que j’y étais, et ce que j’y ai ressenti est tellement puissant, que je n’ai qu’une envie : recommencer. La nulle en sport a pris sa revanche. Celle qui devenait écarlate après avoir couru 100 mètres devient toujours écarlate mais elle peut courir beaucoup plus loin, beaucoup plus longtemps. J’ai appris à respirer, à filtrer mes émotions pour ne conserver que celles qui me font avancer.
C’est, je crois, le propre de tous ceux qui se mettent au trail, et au running en général : cette envie de ressentir des sensations fortes, profondes. Cette envie, aussi, dès qu’une course est terminée, de s’inscrire à la prochaine : trouver de nouvelles courses, de nouveaux tracés, des nouvelles sensations, porter un dossard, se mesurer à soi-même, essayer de progresser. C’est, me semble-t-il, le lot de tous ceux qui prennent goût à la course.
Quand je cours, je n’ai aucune envie de dépasser les autres participants, j’ai juste envie de me dépasser moi-même. D’être finisher. Je n’ai pas les capacités physiques – mais vraiment pas – qui me permettraient de pouvoir prétendre “ faire un temps ”. Mais c’est ce qui rend le trail tellement fascinant : tout le monde peut s’y mettre, même sans faire partie de l’élite, même sans être un cador, même en ayant passé le cap de la cinquantaine avec un très mince passif sportif… et tout le monde peut y trouver son compte en allant au bout du chemin, en accomplissant son objectif. Et tout ça, juste en enfilant des baskets.
À suivre.