Une micro-aventure… à Penly

J’ai l’extrême chance d’avoir le droit à des pastilles d’iode gratuites chez mon pharmacien. J’habite en effet dans un rayon suffisamment proche d’une centrale nucléaire pour avoir ce privilège. J’ai une peur bleue, verte, noire, du nucléaire. Les images de Tchernobyl et Fukushima, sans parler de celles d’Hiroshima et Nagasaki, hantent mon esprit. Pourtant, la centrale de Penly est d’une discrétion exemplaire dans mon paysage. Si ce n’étaient ces fameuses pastilles d’iode, j’en oublierais jusqu’à son existence. Je ne vis pas tout près non plus. Mais que représentent une vingtaine de kilomètres à vol d’oiseau ? Rien, surtout si le vent souffle du mauvais côté. Alors, que dire des gens qui vivent dans le village ? Je suis donc allée me promener dans le village de Penly. Humer l’atmosphère. Affronter ma peur et la dominer. Spoiler : je n’ai pas croisé âme qui vive, à l’exception notable de deux chiens assez peu amènes, mais heureusement retenus dans leur hargne par un épais grillage. J’ai arpenté la rue principale du village dans un silence assez étonnant, à peine troublé par quelques caquètements de poules. Plusieurs fermes ont résisté à l’installation de la centrale. Ce qui donne à Penly — 431 penlyais au dernier recensement — une étonnante image de village-dortoir agricole. Ici, comme dans la plupart des villages français, le piéton est un intrus, malgré les trottoirs qui bordent consciencieusement les rues. On va au travail en voiture, on emmène les enfants à l’école en voiture, on fait les courses en voiture. Et pour cause : il n’y a plus ni école ni commerces dans les petits bourgs de campagne. Il faut avoir l’esprit un peu excentrique pour flâner dans les rues de Penly, j’assume.
À l’exception de ces immenses pylones à la sortie du bourg, rien ne signale la centrale, nichée dans son écrin calcaire, cent mètres plus bas. 

À vrai dire, si je n’étais pas attirée par le large et la mer, je n’aurais pas suivi mon instinct ni cette pancarte, invitation à randonner avec vue.  

J’aime tellement ce genre de perspective.

Plus tard, en consultant le portail IGN, j’apprendrai que cette rue porte le nom délicieux de « Tante Lucienne ».

Quand soudain…

En contrebas de cette petite route, la centrale. La lumière est magnifique. Et toujours, ce silence sauvage, oxymore inquiétant et rassurant. 

L’accès à l’estran, comme un col de montagne de mer, tranche avec les valleuses (autrefois appelées gorges) de la région, souvent escarpées, parfois impraticables, rarement goudronnées. 

À en juger par les stickers, le lieu est connu des skateurs. Tu m’étonnes. Les spots de skate avec vue imprenable sur la mer en toute tranquillité ne courent pas les rues, et encore moins les falaises. 

À quelque détail près — et ce n’est pas le goéland —, c’est une falaise comme les autres. 

Le chou marin, espèce protégée car de plus en plus rare, se plaît dans les coteaux.

Et puis, après quelques lacets, un cul-de-sac. Et cette pancarte inattendue :

Car oui, on pêche à Penly, au pied de la centrale. 

Quant à manger le produit de sa pêche, c’est une autre histoire.

« Gisement de qualité fluctuante » précisent les analyses. La bactérie e-coli semble apprécier les eaux locales. 

Je ne l’ai pas remarqué tout de suite, mais un petit escalier prolonge le cheminement, invitation à descendre à altitude zéro, et à se rapprocher de la centrale. En contrebas, toujours le silence, le calme, contrastant avec l’imaginaire nucléaire. Je l’avoue, j’ai un peu hésité. Et puis l’envie de dominer ma peur du nucléaire, en m’en approchant au plus près, en l’accostant, m’ont convaincue.  

En bas, ambiance Berlin-Est. La pêche à pied à Penly, ça se mérite. 

Enfin, au bout du chemin, la mer. 

Avec un panorama sur la mystérieuse valleuse de Parfonval. Au XVIIIe siècle, le lieu était surnommé « la corde des contrebandiers ». C’est ici, exactement, que le chouan Georges Cadoudal a débarqué un soir d’août 1803, en provenance d’Angleterre, avec pour objectif de kidnapper Napoléon…

Escalade de la falaise de Biville, aquarelle d’Armand de Polignac. En 200 ans, la falaise a perdu des pans entiers, mais pas de sa superbe.

Voilà, c’est fini. Ce fut une étrange petite balade de 7 kilomètres, entre village, centrale, falaises, histoire de France, estran, surprises et insolite.