Marche avant
On ne va pas se mentir, je n’ai jamais été très sportive. J’ai toujours eu plus de facilités à exercer ma grammaire qu’à exercer mes muscles. Étant une humaine lambda, je me suis orientée vers ce qui me demandait le moins d’efforts et me procurait le plus de satisfaction. Pas le sport, donc. Au collège, en 6e et 5e, j’avais un prof d’EPS (à l’époque on disait “prof de gym”) très sympa, mais très flemmard : toute l’année, été comme hiver, qu’il pleuve qu’il neige qu’il vente, il nous emmenait courir dans un endroit maudit dont la simple évocation suffit encore aujourd’hui à me donner des frissons : la Moussée, du nom de la petite colline infâme où il nous faisait faire des cross sans fin et sans entraînement, où c’était toujours les mêmes qui gagnaient et les mêmes qui finissaient derniers dans la douleur (i.e. moi). La Moussée me semblait parfaitement incarner ce toponyme bizarre, hybridation de la mousse et de la rosée, tant on y croisait de végétaux humides et maléfiques qui nous faisaient chuter dans la boue, et ramper dans des sentiers pleins de ronces et de monstres et de kraken en tous genres. J’étais Blanche-Neige qui luttait dans la forêt.
OK, j’exagère peut-être un peu mais c’était mon ressenti de l’époque.
Cette première approche de l’endurance m’a éloignée pour de longues années des terrains de sport, et m’a renforcée dans l’idée que le sport et moi, ça faisait deux.
Je mesure cependant aujourd’hui la chance que j’ai d’avoir grandi à la campagne (même si à l’époque, bien sûr, je rêvais de vivre en ville), et d’en avoir gardé, inconsciemment ou non, un goût pour les balades au grand air. J’allais à pied à l’école (2 kilomètres aller-retour) dès le CP, matin, midi et soir ; j’empruntais le même chemin pour faire les courses ; pour tromper mon ennui, j’allais souvent me promener le long du chemin de halage qui longeait la maison ou dans les champs alentour. Adolescente, je rejoignais à vélo ma bande de copains du village voisin, à 10 km. Je n’aimais pas le sport, mais je le pratiquais malgré moi, parce que c’était le seul moyen de me déplacer. Comme tous les enfants de cette époque – les années soixante-dix -, nous avions, grâce à la liberté de mouvement dont nous jouissions, une activité physique régulière. Nous étions des monsieur Jourdain du sport, des killers malgré nous de la sédentarité.
J’ai donc toujours gardé dans un coin de mon cortex l’idée que marcher, c’était LA liberté ultime. Celle qui m’a permis d’effacer les carcans de la campagne. Celle qui, très tôt, me permettait d’aller d’un point à un autre sans dépendre de personne. Celle qui, alors que j’étais adolescente, m’a fait traverser les champs au lever du jour, seule et sans peur, pour rentrer d’une soirée, unique fois de ma vie où je suis passée par la fenêtre de ma chambre alors que mes parents dormaient. Celle qui, de manière générale, m’a permis de me mettre à l’épreuve du monde qui m’entourait.
Celle qui, surtout, me sauvera corps et âme quelques décennies plus tard, lorsque je deviendrai une interface chaise / clavier.
À suivre.