Interface homme machine
Je retente donc l’aventure du blog, mais avec un regard tellement distancié que j’éprouve une sensation de grand luxe. Pour la première fois depuis longtemps, non seulement je n’ai pas l’impression de perdre mon temps face à un écran, mais j’ai même le sentiment inverse de le remplir agréablement et utilement.
Pas de pression, pas de compte Twitter ou Facebook lié, un tout petit compte Instagram en mode slow post, pas besoin (et surtout, aucune envie !) de faire la promotion sur les réseaux sociaux. Juste l’idée d’être lue, éventuellement. Je dis bien éventuellement, car je ne travaille absolument pas le SEO, rien n’est optimisé pour Google, je ne veux surtout pas replonger dans les stats de Google Analytics, j’écris comme bon me semble, en sachant que je serai *peut-être* lue, et basta. Voilà pour moi une définition du luxe en 2018 : s’exprimer sur un coin de la Toile très tranquille, en utilisant le meilleur des GAFA et en laissant de côté le pire, en refusant de rentrer dans le circuit de la récompense.
Ce “circuit de la récompense”, connu en psychologie, consiste, grosso modo, à agir de manière à déclencher des gentils petits agents chimiques dans notre cerveau, en particulier la dopamine, qui boostent notre moral. Ce circuit de la récompense est également à l’œuvre dans nos interactions sur les médias sociaux. Je partage du contenu, j’ai des likes, ça me valorise, et plus je me sens valorisé(e), plus j’ai besoin de checker mes mentions, de poster, de partager, de liker, et ainsi de suite. On est pris dans la “boucle de feedback de validation sociale”. L’un des fondateurs de Facebook, Sean Parker, a lui-même reconnu récemment avoir exploité sciemment cette “faille” du cerveau humain en développant Facebook. Je n’ai jamais été accro à Facebook, mon truc à moi, c’était plutôt Twitter. Mais le principe est le même, et il empiète sur notre temps de cerveau disponible en nous susurrant, au beau milieu d’un repas, d’un livre ou d’une conversation : “va voir tes mentions, va gonfler ton égo !”.
Quand j’ai débarqué sur Twitter en 2009, c’était un monde à part, qui comptait à peine plus de 100 000 inscrits (10 millions aujourd’hui), parmi lesquels seuls 7% (15 000 !) étaient des utilisateurs réguliers. Ceux qui atteignaient les 1 000 followers étaient des cadors, on y croisait une majorité de journalistes et de wannabe influenceurs qui pratiquaient sans état d’âme le “personal branling”, l’ambiance était plutôt potache, le second degré n’était pas encore mort, les interactions se faisaient majoritairement via un ordinateur et non pas via mobile, bref, c’était il y a 10 ans. Je venais de créer un premier blog, j’avais besoin de le faire connaître, Twitter constituait un tremplin formidable. Et puis je travaillais en freelance de chez moi, je venais de quitter Paris pour élever mes enfants au grand air, et j’étais en manque de collègues de bureau et de pause-café. J’ai trouvé sur le réseau de micro-blogging de quoi étancher ce besoin d’échanges à la fois professionnels et ludiques.
Et j’avoue : j’ai adoré. Je retrouvais cette même sensation grisante que j’avais ressentie lors de ma première connexion à Internet quinze ans auparavant, cette même idée de défricher des terres inconnues, cette même excitation face à la jungle de tous les possibles : communiquer, se cultiver, chercher, trouver, errer, publier, inventer, se divertir, travailler… La liste est longue de tout ce que l’on pouvait désormais faire *sans sortir de chez soi*. En les simplifiant et les enrichissant, Internet a révolutionné en profondeur et pour toujours tous les aspects de notre vie, y compris l’aspect sédentaire. L’avènement du Web social n’a fait que renforcer notre immobilisation amorcée avec le Web dit statique. Il m’est arrivé, surtout par esprit décalé, d’avoir des rendez-vous très sérieux par Skype avec des chaussons aux pieds. Ces rendez-vous professionnels en chaussons, c’est un peu la quintessence de cette ère homme / machine dans laquelle nous sommes entrés à pieds joints, qui abolit certains de nos déplacements (Qui se souvient de la dernière lettre qu’il a écrite puis postée dans une boîte aux lettres ?).
Puis vint 2010, et le développement de l’appli mobile pour iPhone. Désormais, Twitter tenait dans la poche et ne s’éteignait jamais. C’est là que tout a commencé à s’accélérer, du moins en terme de kilobits par seconde. Parce que côté kilomètres, c’était devenu le néant absolu.
À suivre.