C’est une adresse fantôme à l’aune du numérique : la rue du Chevington n’existe pas sur Google Maps. Une bête histoire d’orthographe. Sans le vouloir, Google a juste pris un peu d’avance : dans quelques années, peut-être mois, cette rue aura disparu, engloutie par les vagues une soixantaine de mètres plus bas. Cette petite rue, d’à peine 1 km, longe le littoral, et offre une vue magique sur la Manche. Je suis très souvent venue arpenter ce kilomètre merveilleux, qui imprègne l’âme et lave le regard. Mais c’en est fini de cet espace si inspirant, il est désormais interdit à la circulation, avant de disparaître peu à peu, par morceaux, et d’aller rejoindre l’estran.
Ici, le relief est sensible. Il est taillé dans la dentelle de craie. Les vagues qui battent inlassablement les flancs des falaises ont toujours le dernier mot. Leur travail de sape est implacable. Il y a quinze ans, une dizaine de maisons, dont le jardin donnait déjà sur le vide, ont été détruites par anticipation.
Les éboulements, plus ou moins importants, se succèdent, au gré de la météo. La pluie abondante des derniers jours le laissait prévoir : un pan entier de la falaise vient de s’écrouler, faisant de la rue de Chevington le trait de côte au sens propre. Les jours de la rue sont comptés, comme le sont ceux de cette maison de vacances, qui n’est plus désormais qu’à quelques mètres du vide.
Je suis déjà nostalgique de cette rue éphémère, qui doit son nom à un naufrage, celui du Chevington, steamer qui, en mars 1896, par un jour de brouillard et de tempête, s’est échoué ici. Lors des très grandes marées, son épave est encore visible. La mer conserve tout, y compris les souvenirs engloutis de ces marches aérées, libres, avec cette impression luxueuse de faire jeu égal avec les goélands, et d’avoir le ciel, la mer, la terre pour moi toute seule.
Des falaises et des chiffres
D’ici 20 ans, le long des 140 kilomètres de la côte d’Albâtre, du Havre au Tréport, ce sont près de 230 hectares de falaises qui s’écrouleront, et cèderont leur place à la mer, soit l’équivalent de plus de 300 terrains de foot. Telles sont les prévisions du Cerema dans son étude sur le littoral de Seine-Maritime récemment publiée.